A toute compétition, ses pronostics. C’est un rite. Un sujet de discussion. Et d’amusement.
Et même si le but essentiel des Magritte du Cinéma a toujours été de jeter un coup de projecteur sur le cinéma belge et non d’y créer des antagonismes, et même si chacun dit « que le meilleur gagne, l’important est de participer », et même si certains haussent les épaules, parce qu’il vaut mieux faire semblant qu’on râle plutôt que d’avouer qu’on n’y connaît rien, c’est d’abord le palmarès des Magritte qu’on consultera dans quelques années pour voir de quoi était faite l’année ciné 2012 en Belgique.
Comme l’an dernier, nous allons donc essayer de dégager les grandes tendances de la compétition. Soyons clairs : nous n’exprimons pas ici nos goûts ou nos opinions (pas frapper !). En nous basant sur les critères les plus objectifs possible, nous tentons de deviner quels seront les vainqueurs, samedi.
Aujourd’hui, nous explorons les catégories « meilleur film », « meilleur réalisateur » et « meilleur scénario », puis, dans les jours à venir, nous nous intéresserons à l’interprétation et nous plongerons dans les catégories techniques, les coproductions, les courts et les docus.
Dès la conférence de presse, beaucoup de journalistes ont déjà tranché: À Perdre la raison sera élu meilleur film, Joachim Lafosse meilleur réalisateur et meilleur scénariste en compagnie de Matthieu Reynaert. Pas de suspense, rangez vos claviers.
Ce n’est pas impossible… mais c’est loin d’être certain.
Certes, A Perdre la raison a beaucoup d’adeptes et Versus a prouvé l’an dernier avec Les Géants qu’il avait du crédit dans le milieu, mais Joachim Lafosse, farouchement indépendant, n’est pas le cinéaste le plus consensuel qui soit. Ses films sont toujours à la fois puissants et dérangeants, ils ne peuvent donc pas faire l’unanimité. Le sujet lui-même est très dérangeant. Mais le film a été un succès, Emilie Dequenne a séduit tout le monde et Joachim Lafosse est un de nos plus grands réalisateurs.
Majoritairement produit en France, 38 Témoins ne semble pas tout à fait en mesure de capter suffisamment de voix ici. Le fait qu’il ait été conçu hors du sérail et, à l’exception de Natacha Régnier, sans acteur belge, fait qu’on a peut-être un peu moins parlé du film ici. C’est un handicap dans une compétition nationale.
Lucas Belvaux reste évidemment un immense metteur en scène et on a hâte de voir ce qu’il va bientôt nous offrir avec Emilie Dequenne. Sachez aussi qu’aux César, son scénario est nominé parmi les meilleures adaptations. Un indice?
[© Amiel Pierquin]
Malgré ses huit nominations, Dead Man Talking, reste un film légèrement en marge du sérail. Reste à voir si la taille de ladite marge n’est pas subitement devenue une alternative à la majorité traditionnelle. Nouveau réalisateur, producteurs en pleine ascension, sujet étonnant, traité de façon ambitieuse : on ne sait trop si, dans le cadre d’une compétition de ce type (Magritte, César, Bafta…), ce sont des atouts ou plutôt des handicaps. Mais nous l’apprendrons très vite…
Mais si on suit l’avis intime (celui qu’on donne « off ») de nombreux initiés, on ne doit pas sous-estimer les chances de Mobile Home: le quatrième larron pourrait créer la surprise; l’énorme outsider, le poids plume, n’a pas dit son dernier mot.
Alors? Le road movie immobile, singulier et modeste, va-t-il griller le peloton et émerger au sprint? Question subsidiaire : François Pirot qui fut le coscénariste de Joachim Lafosse sur Nue Propriété et Élève Libre, qui a choisi de stopper (provisoirement?) cette riche collaboration pour jouer la carte perso, émergera-t-il dès sa première tentative face à son ex-coéquipier? L’idée est un peu étrange, mais sait-on jamais…
À moins que, pour une fois, les prix du meilleur film et du meilleur réalisateur n’aillent pas de pair et que les Magritte couronnent Mobile home ET Joachim Lafosse? Il faut savoir que ce type de découplage est assez rare.
Aux Ensors où un jury de personnalités décide des lauréats après discussion, c’est tout à fait possible, mais dans un processus de vote individuel et secret, c’est nettement moins plausible. Il faut arrêter de penser « consensus », de regretter ceci ou cela : un vote est un vote, une addition de subjectivités. L’avis d’un seul, fut-il un chroniqueur sûr de son bon goût, a peu d’importance face à la majorité qui se dégage d’un échantillon représentatif.
Et notre prono alors ? Puisqu’il faut se jeter à l’eau, plongeons sur A Perdre la raison que nous voyons s’imposer. Dans les trois catégories. Mais attention ! On n’est pas à l’abri d’une grosse surprise.
Quoi qu’il en soit, ces films peuvent aussi revendiquer une série de Magritte techniques ou quelques prix d’interprétation. Mais d’autres longs métrages devraient contrarier leur plan d’hégémonie totale. On en reparle dès demain…