« La Dernière Tentation des Belges »: quand Jan Bucquoy joue les Shéhérazade…

Avec La Dernière Tentation des Belges, Jan Bucquoy livre une comédie tragique, un drame absurde, une tragédie burlesque portée par un alter ego de cinéma délicieusement maladroit, qui tente d’exorciser les pulsions suicidaires de sa fille en lui racontant des histoires. 

Oyez, oyez, Jan Bucquoy est de retour avec sa cinémataubiographie en construction. La Dernière Tentation des Belges est le troisième volet d’une trilogie entamée en 1994. Après avoir essayé d’amener le marxisme léninisme en Flandres (et un peu raté), puis de faire un coup d’état à Bruxelles (et d’un peu rater là aussi) Jan Bucquoy, ou plutôt son alter ego fictionnel, se met en tête d’inciter la Wallonie à imaginer une plus juste redistribution des richesses en abolissant l’héritage, et en attribuant les fonds via une loterie.

Mais derrière l’agit-prop se cache un père en deuil, sous la casquette anarchiste se cache un père blessé qui pleure sa fille suicidaire. Marie est spectaculairement au bord du gouffre, sa vie ne tient plus qu’à un fil, celui que tisse son père, un fil tissé de récits qui reviennent sur sa vie. 

Shéhérazade inattendue, Jan cherche donc à retenir sa fille. Comme la conteuse persane, il tente de repousser la mort en lui racontant des histoires. Car Marie a fait le tour de la vie. Et ce n’est pas sa relation avec un père absent et distant qui la convaincre du contraire. Jan a raté ses anniversaires, elle a raté sa vie. Comme dans les Mille et une nuits, c’est une succession de petits contes que nous propose Jan, mille et un petits tableaux de sa vie. 

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La Dernière Tentation des Belges, c’est avant tout l’histoire d’un père et de sa fille, un père désespéré, un père qui a été absent, et qui s’accroche pour redonner à sa fille le goût de vivre. Un sujet universel, en somme, une histoire d’amour et de rencontre paternelle et filiale, largement inspirée du parcours de Jan Bucquoy, qui creuse un peu plus ici la veine de l’autofiction, pour mieux réécrire l’histoire avec ses partenaires de jeu. Pour transcender la douleur de vivre en un grand Barnum cinématographique, exorciser le mal par le rire, panser les plaies avec quelques bons mots et une poignée de situations cocasses. Laisser l’imagination reprendre le pouvoir, pour re-colorer la vie. 

Mais qui sont-ils, Jan, Marie?

Pour ce 3e volet de ses propres aventures, Bucquoy s’est choisi une nouvelle incarnation. Après l’inoubliable Jean-Henri Compère, alter ego du cinéaste dans La Vie sexuelle des belges (1994) et Camping Cosmos (1996), le réalisateur a jeté son dévolu sur le comédien Wim Willaert, clown triste dont l’accent rend hommage aux origines flamandes de l’artiste, et dont la folie épouse celle du créateur.

Face à lui, Bucquoy a écrit le rôle de Marie pour l’intrigante jeune musicienne Alice On the Roof, qui oscille entre un certain pragmatisme et une belle étrangeté. Elle offre à Marie son regard pénétrant et une drôle de sagesse désabusée. 

Tout au long de son parcours, Jan a un fidèle partenaire de jeu dont l’aisance et l’opportunisme tranchent avec sa maladresse. Ce duettiste, c’est Alex Vizorek, qui troue là un premier rôle d’envergure au cinéma, et qui s’immisce avec naturel dans l’univers un peu bricolé mais résolument sincère de Jan Bucquoy. 

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Car oui, le cirque de la vie que met en scène Jan Bucquoy est tour à tour joyeusement et mélancoliquement foutraque. Le tout ne va pas sans une certaine approximation, parfois poétique, souvent facétieuse, de temps à autre à côté de la plaque. Mais le goût de l’absurde (et la succession de mauvais sosies), le sens de la formule de l’agitateur flamand sont pour le moins réjouissants. On assiste le sourire aux lèvres au petit théâtre de sa vie, on se régale des aphorismes déballés par le toujours ingénu Wim Willaert et son délicieux accent flamand, qui donne une texture plus savoureuse encore aux aventures de ce loser même pas toujours magnifique.

Si l’on sourit souvent, si l’on se moque parfois gentiment des idées farfelues de Bucquoy, ou de sa façon totalement punk de faire avec les moyens du bord, le drame affleure à la surface de cette histoire, celle d’un père qui tente de rattraper les rendez-vous manqués avec sa fille. Il se pourrait bien à la fin que La Dernière Tentation des Belges soit une tragédie. Une tragédie burlesque. Au sens propre du terme, un drame au comique déroutant et extravagant. 

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