Avec Rendez-vous à Bray, André Delvaux livre une variation musicale sur le thème de l’attente et du souvenir, d’une inoubliable beauté formelle, hantée par les notes magnifiques de son héros pianiste et le bruit sourd de la guerre que l’on devine au loin.
L’histoire
Quelques notes de piano. Julien lit une lettre. Son ami Jacques lui donne rendez-vous dans sa maison de Bray. Pourtant Jacques est engagé dans l’aviation française, alors que la première guerre mondiale fait rage. Sait-il qu’il aura une permission? Compte-t-il seulement venir au rendez-vous? Lorsque Julien arrive dans une Bray désertée comme endormie par le conflit mondial qui gronde à sa porte, il est accueillie par une servante, dont la beauté peu loquace ne manque de le troubler. D’autant que c’est avec elle seule que Julien se retrouve à partager la maison et les souvenirs qui la hantent, puisque Jacques, aussi souvent annoncé que désannoncé, n’arrive pas. C’est en souvenir que l’on retrouve Jacques. Comme si chaque envolée de piano ravivait la mémoire d’un moment passé mais ancré de façon indélébile dans le présent de Julien.
Le contexte
Quand André Delvaux réalise Rendez-vous à Bray en 1971, il a déjà une belle carrière derrière lui, marquée par des oeuvres reconnues comme L’Homme au crâne rasé ou Un soir, un train avec notamment Yves Montand et Anouck Aimée. Son cinéma se caractérise par ses lettres (il livre de nombreuses adaptations littéraires), son style raffiné et son goût affirmé de l’onirisme et du mystère. Il développe un univers teinté de réalisme magique, où les frontières entre le rêve et la réalité sont ténues. André Delvaux est un exemple et une inspiration pour de nombreux cinéastes, comme Jaco Van Dormael (« C’est lui qui a ouvert la porte du cinéma belge dans laquelle nous nous sommes engouffrés. »), ou encore Fabrice du Welz.
Rendez-vous à Bray, une adaptation d’une nouvelle du Français Julien Gracq, apporte la consécration à André Delvaux. Le film est couronné par le prix Louis Delluc remis par la presse cinématographique française. Le film surprend et accroche par son atmosphère nocturne et onirique, et sa façon de laisser libre cours à l’imagination du spectateur pour combler les béances d’un récit morcelé et lacunaire. L’action au présent se carapate vite dans la demeure de Bray, à la lueur des bougies portées par la servante, les seules échappées ou presque sont les souvenirs récurrents qui viennent ponctuer le récit, jetant un peu de lumière (ou pas?) sur les relations complexes entre Julien et Jacques. La guerre, au coeur du récit puisqu’elle est l’élément perturbateur qui retarde les retrouvailles, est absente de l’écran, racontée seulement par les courriers pudiques, les conversations ou les articles vraisemblablement censurés que lit Julien.
Rendez-vous à Bray, c’est aussi un casting prestigieux. Dans le rôle de Julien, le pianiste luxembourgeois, Mathieu Carrière, acteur allemand d’ascendance française, héros du premier film de Volker Schöndlorff, Les Désarrois de l’élève Törless. On le verra plus tard chez Roger Vadim, Marguerite Duras, Alain Corneau, Eric Rohmer. Dans le rôle de Jacques, l’acteur belge Roger van Hool, découvert dans Oscar d’Edouard Molinaro, puis que l’on voit ensuite au théâtre, à la télévision, mais aussi chez Truffaut (La Femme d’à côté) ou chez Chatilliez (Tanguy). Dans le rôle de la servante, Anna Karina, muse de Godard qui offre toute son ambiguïté à ce rôle de femme absolue et mystérieuse. Enfin, dans le rôle de la pétillante Odile, qui illumine les souvenirs de Julien, on retrouve Bulle Ogier, en pleine gloire, qui enchaîne les tournages avec Alain Tanner, Jacques Rivette, Barbet Schroeder, Luis Bunuel…
Rendez-vous à Bray est un film entêtant et mélancolique, une pépite du cinéma belge, à revoir ce mercredi 13 octobre à Flagey.