Retour sur… « Calvaire »

Calvaire, premier long métrage de Fabrice du Welz, oeuvre percutante, malaisante et provocante, est un film matriciel, où l’on retrouve en germe les films suivants du réalisateur, mais aussi un film sous influence, empli d’hommages assumés aux héros du cinéaste, d’Andre Delvaux à Tobe Hopper. 

L’histoire

Marc Stevens (Laurent Lucas) est un chanteur de charme pour personnes âgées qui, après un gala dans un village des Ardennes, tombe en panne en pleine forêt. Guidé par Boris (Jean-Luc Couchard), un jeune homme étrange à la recherche de sa chienne Bella, il arrive à l’auberge tenue par Bartel. Bartel (Jackie Berroyer) est certes un peu bizarre, mais finalement accueillant, d’autant que lui, l’ex-comique, voit en Marc Stevens le chanteur un « collègue ». Entre artistes, on se comprend, n’est-ce pas? Seulement Bartel est pour le moins psychologiquement fragile, et il comprend tellement bien Marc, qu’il finit par voir en lui la réincarnation de sa femme disparue, Gloria, chanteuse elle aussi. Jusque là, tout va encore pas trop mal – enfin, tout est relatif. Mais c’est sans compter sur le fait que Bartel semble avoir quelques doutes sur la probité, voire la fidélité de Gloria, et entreprend d’empêcher coûte que coûte Marc, enfin, Gloria, de séduire à nouveau les dégénérés du village voisin.

L’art délicat du malaise

Calvaire est aussi un petit manuel de malaise cinématographique. Ca grince, ça gratte, c’est inconfortable, on se tortille dans le fauteuil, on se surprend à ricaner pour ne pas frissonner. Ce survival (genre de film où la survie du ou des héros est sérieusement remise en question par une nature résolument hostile, et des congénères humains souvent retournés à l’état sauvage ou pas loin) multiplie les provocations. Son héros, asexué, est une coquille vide, un objet dans lequel tout un chacun projette ses désirs et ses fantasmes, de préférence pervers, et saturés de frustration. Et c’est peu dire que pour assouvir ces fantasmes, Marc « devenu » Gloria va devoir subir quelques outrages. Ajoutons à l’ensemble une certaine tendance à l’iconoclasme – on n’appelle pas son film Calvaire pour rien -, et l’itinéraire de Marc/Gloria va vite, et littéralement, se muer en chemin de croix.

Eloge du gore sensoriel

On s’en doute, l’hémoglobine coule à flots. L’affiche annonce d’ailleurs clairement la couleur, rouge, de préférence. Mais ici, la violence, terrible, obstinée, est plus suggérée que montrée. Fabrice du Welz marche sur un fil, mais s’en sort avec agilité, même in extremis. C’est sensoriellement gore, plutôt que visuellement. A cet égard, le travail sur le son est impressionnant, voire impressionniste. Il faut entendre le bruit assourdissant des hurlements de Gloria, qui se confondent avec ceux d’un jeune veau dans un vrai tourbillon visuel… D’autant que ce qui domine, finalement, c’est un certain goût du grotesque, et un appétit certain pour le spectacle de la démence des hommes.

Affiche-Calvaire

Film sous influence, film matriciel

Fabrice du Welz se revendique cinéaste cinéphile, biberonné aux films de genre et d’exploitation des années 70, riche d’une cinéphilie on ne peut plus éclectique, qui va de Bergman à Massacre à la tronçonneuse, en passant par le maitre du réalisme magique à la belge, André Delvaux. Il ne s’en cache pas, et Calvaire, premier film, porte forcément les inspirés stigmates de cette cinéphilie – voir d’ailleurs à ce sujet notre compte-rendu de la Masterclass que le réalisateur a donnée en avril dernier à l’occasion du Festival du Film Fantastique de Bruxelles.

Villageois-Calvaire

Alors dans Calvaire, on retrouve Massacre – l’hallucinante scène autour de la table avec Stevens, Bartel et Boris notamment -, on retrouve Psychose en s’enfonçant dans les bois, on pense à Délivrance, on retrouve Un soir, un train de Delvaux lors de la danse des déments, comme l’illustre le montage ci-dessous.

Le film exhibe fièrement ses influences, mais il contient aussi en germe le cinéma futur du réalisateur. L’approche tellement picturale de la forêt, que l’on retrouvera dans la dense jungle tropicale de Vinyan, mais aussi dans Alleluia, les petits chaperons rouges de la fin du film, comme prémonition des enfants de la jungle du même Vinyan, la danse folle des villageois en écho à une autre transe, celle des amants d’Alleluia, le désir des vieilles dames, la nuit, mais aussi les visages, comme celui de Laurent Lucas…

Et donc?

Que se passe-t-il quand un comique de salon ascendant psychopathe doit faire son deuil amoureux, et qu’il croise la route d’un joli coeur qui chante l’amour? Il entre dans une phase, comment dire, maniaque, et ça donne… Calvaire, à voir ou revoir absolument.

 

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