Passage express sur le tournage de Il pleut dans la maison, premier long métrage de fiction de la jeune cinéaste belge Paloma Sermon Daï, Magritte du Meilleur documentaire 2022 pour Petit Samedi.
Lundi 29 août, l’équipe de Il pleut dans la maison nous a donné rendez-vous au Complexe sportif de Beaumont, à proximité du Lac de l’eau d’heure. L’été touche tout doucement à sa fin, l’ambiance est douce et détendue au sein de l’équipe, qui termine sa pause déjeuner. Sur le parking, trois ados écoutent de la musique dans une voiture, ils discutent et plaisantent, dans leur bulle.
On est loin de la loge maquillage sanctuarisée, du décorum des tournages hollywoodiens. Ces trois jeunes gens sont les héros du jours, et de l’été. Purdey Bloquiau (19 ans) et Makenzy Lombet (16 ans) sont les deux protagonistes principaux du film, frère et soeur dans le film et dans la vie. Donovan Nizet (15 ans) est l’acolyte du héros. Dans le film, ils jouent Purdey, Makenzy et Donovan.
Paloma Sermon Daï connait bien Purdey et Makenzy. Non seulement elles a avec eux des liens de parenté, mais en plus, elle les a déjà mis en scène pour son film de fin d’études. Quand elle commence à écrire son premier long métrage de fiction, elle imagine la trajectoire d’un frère et une soeur, délaissés par leur mère en proie à ses démons, qui vont traverser la vie tant bien que mal le temps d’un été, se soutenant dans les épreuves.
Pour son producteur, Sebastien Andres, c’est une évidence: ce frère et cette soeur, Paloma Sermon Daï les connaît déjà. La cinéaste se met donc à écrire en pensant à eux, puis organisent des ateliers de jeu et de travail, qui nourrissent l’écriture. « J’ai gardé leurs prénoms, même si c’est une histoire très écrite, car ils donnent beaucoup d’eux aux personnages, nous explique la réalisatrice. Il y a un côté un peu hybride au film. Ce n’est pas un documentaire, c’est une fiction, mais ils sont tellement vifs, tellement eux-mêmes dans plein de chose, qu’ils ré-ancrent constamment le film dans une réalité. »
Une réalité qui vient également du territoire, une notion chère à la cinéaste. Son territoire à elle, Sclayn (d’où viennent ses jeunes comédiens), était central aussi bien dans son court que dans son documentaire. Elle se délocalise ici, pour scruter au plus près d’autres terres, celles des alentours du Lac de l’eau d’heure, une région marquée à la fois par un fort taux de chômage, et par une industrie touristique très développée. Cette dernière sert de toile de fond au récit: « J’avais envie de faire le parallèle entre la précarité de la vie de Makenzy et Purdey, leur maison qui se délabre, et ce tourisme envahissant, à travers lequel la région se délite aussi un peu. Ce tourisme, qui a deux facettes (l’une très populaire, sur la plage, l’autre plus bourgeoise, avec les sports nautiques), apporte finalement peu aux gens de la région, c’est un tourisme majoritairement flamand, le complexe appartient à des Hollandais. Quand Purdey essaie de se trouver une place dans ce milieu, elle ne trouve qu’un job à mi-temps, de nettoyage, c’est sa seule porte d’entrée vers le travail. »
Dans Petit Samedi, Paloma Sermon Daï observait la relation intense, souvent fusionnelle, parfois conflictuelle, qui unit sa mère, et son frère, toxicomane atteint d’une addiction aux opioïdes. Une histoire de famille, l’histoire de sa famille même, dans laquelle forcément elle était profondément investie. Ce passage à la fiction lui permet à la fois de faire un pas de côté, et d’aborder des sujets durs, de façon frontale. Le recours à la fiction épargne l’autrice, comme ses interprètes: « Pour moi, la fiction m’apporte une grande liberté de propos, la possibilité de me distancer de mes personnages. Il y a certes une part de documentaire dans la façon d’aborder la réalité, mais je maitrise le discours et je peux raconter ce que je veux. Dans le documentaire j’étais plus limitée, surtout dans Petit Samedi qui parlait de ma mère et mon frère. Ici, si je m’inspire de la vie de Purdey et Makenzy, mais il y a quand même une distance. Qui me rassure, et qui les rassure. On peut créer autour de ça. »
Des sujets durs, mais abordés « de la manière le plus solaire possible, sans faire de misérabilisme », avec le concours de son chef opérateur, Frédéric Noirhomme. Et servis par l’énergie communicative de ses jeunes interprètes. « Je savais que c’étaient eux, Purdey et Makenzy, que je voulais filmer, mais j’ai néanmoins été surprise par leur jeu! Déjà en atelier, ils proposaient beaucoup de choses. Mais le fait d’avoir l’équipe autour d’eux, les décors, ça les a transcendés. Je ne m’attendais pas à trouver autant de nuances, de sensibilité, ils interprètent vraiment, et en même temps ce n’est jamais pathos, c’est toujours juste. Peut-être que j’imaginais un film un peu plus documentaire car freiné par leur jeu, mais pas du tout. »
Sur le plateau, c’est leur complicité qui ressort avant tout. Si Petit Samedi était littéralement un film de famille, on a ici aussi cette impression, celle de rencontrer une petite famille, qui vient de passer l’été à construire de ses mains un projet collectif qui va les unir pour toujours. Ce n’était pas forcément gagné d’avance pour Purdey Bloquiau: « Je connais Paloma depuis toujours, c’est ma tante. Quand elle m’a proposé le film, j’ai un peu dit oui pour lui faire plaisir plus qu’autre chose, mais au final c’est une expérience extraordinaire, qui m’a aidée à bien des égards. J’ai été surprise et conquise par l’esprit d’équipe. Tout le monde était à l’écoute, on pouvait tout se dire, les gens trouvaient les mots justes pour se parler. La fin du tournage arrive, et j’avoue que ça m’attriste un peu, de quitter tout le monde. Mais je me sens beaucoup plus confiante aujourd’hui qu’au début de cette expérience. J’étais un peu perdue, je ne savais pas quelles études faire, et maintenant je sais où je veux aller, ça m’a remotivée. »
Même son de cloche chez Makenzy Lombet, qui s’amuse de ce que lui a appris le tournage: « J’ai découvert qu’un tournage, c’est plus fatigant qu’on ne le pense! J’avais beaucoup aimé faire le court métrage avec Paloma, c’était donc une évidence pour moi d’accepter le long. J’ai beaucoup aimé l’ambiance, l’équipe était hyper chaleureuse et décontractée. Ca m’a même donné envie de retenter l’expérience, pourquoi pas. »
Rendez-vous l’année prochaine pour découvrir le film sur grand écran…