Porter un film de l’idée originale jusqu’aux spectateurs dans les salles est une sacrée aventure. André Logie, producteur de Je te Survivrai et Sylvestre Sbille le réalisateur pourraient vous raconter pendant toute une nuit les anecdotes positives et négatives qui ont émaillé leur chemin.
Mais un an et demi après avoir lancé le premier « Moteur », cette comédie noire va enfin être présentée au public belge après un passage par le Festival international du film de comédie de l’Alpe d’Huez en janvier. Cette première nationale pour un film définitivement belge dans l’âme et la facture se fera ce lundi soir au Festival du cinéma belge de Moustier.
Une vraie Première puisqu’il faudra ensuite attendre jusqu’à la fin du mois de mai pour que cette comédie noire (mais humaniste) soit dûment distribuée dans les salles, un peu coincée entre les premiers films de Cannes et les examens.
En espérant qu’elle tienne l’affiche suffisamment longtemps pour dérider les étudiants enfin libérés de leurs contraintes scolaires. Mais ça va être juste.
[Photos du réalisateur par Amiel P./Cinevox]
Se frotter au public n’est jamais chose aisée, surtout s’il s’agit d’une première fois sur ses terres. Alors, autant le faire dans un contexte agréable et convivial: Moustier est donc l’endroit rêvé.
Cette première chez nous, est l’occasion de donner la parole au réalisateur qui plante le décor, raconte la genèse de certains aspects fondamentaux du film, et son difficile montage financier.
« Un ami proche venait de me raconter une histoire vécue, une expérience traumatisante d’enfermement dans un ascenseur. Des années plus tôt, en plein hiver, il était venu repeindre un appartement dans un immeuble désert. L’ascenseur s’est bloqué alors qu’il repartait.
C’était avant les portables, personne n’allait s’inquiéter avant deux, trois jours. Au bout de deux heures, la veilleuse s’est arrêtée, il était dans le noir complet avec 10 litres de peinture inutilisée et une demi-bouteille d’eau.
Dans le noir, le temps se met à passer beaucoup plus lentement, l’esprit perd pied, c’est l’horreur. Pour tenir le coup mentalement, il a commencé à parler tout seul, à déclamer tout ce qu’il connaissait par cœur. Ensuite, le stade suivant, ce sont les serments : on jure de faire ceci ou cela quand on sortira, de donner un sens à sa vie. Le troisième stade, celui dans lequel on l’a retrouvé, c’est celui de la prostration. Comme je suis pervers, je me suis dit « Quelle bonne idée pour une comédie ! »…
L’idée du puits m’est apparue comme une évidence : un lieu d’autant plus riche qu’il est étroit. Une situation dramatique très large, puisque celui qui s’y retrouve prisonnier va passer par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, d’un point de vue émotionnel. Surtout s’il a quelqu’un au-dessus de lui… Quelqu’un sur qui il n’a aucune prise, ou si peu…
L’enfermement, par définition, oblige les gens à se dépasser. Il fait apparaître notre humanité, c’est un révélateur puissant, le rêve de tout cinéaste.
Au départ, mon personnage principal s’agissait d’un être normal, on le voyait évoluer, s’enliser, perdre courage, en regagner, au fur et à mesure de son duel avec sa voisine. Il perdait ses repères et c’était donc de plus en plus difficile pour lui de « vendre cher sa peau », de courtiser sa meilleure ennemie. Son animalité ressurgissait.
Et puis est venue l’idée de ma compagne et coscénariste, Emmanuelle Pirotte. On avait éteint la lumière. Tout à coup j’entends : « – Tu dors? – Non… – Tu sais quoi ? C’est Damien qui est dans le puits ! »
Damien, le gérant de l’agence immobilière où elle avait travaillé pendant trois mois, quelque temps auparavant. Le prototype de la grande gueule insupportable, mais super attachante.
C’était lui ! Une personne qui est toujours dans la démonstration, dans le too much. Pour lui, un séjour dans un puits, c’est pire que pour quiconque. On a basculé alors doucement du sérieux de la situation, à de la survie avec un twist : celui de l’humour. Le dialogue qui s’établit n’est pas seulement celui du duel, ça devient celui de la fable, c’est La cigogne et le renard, on se regarde en
chiens de faïence, chacun campe sur ses positions… Jusqu’à ce qu’on fasse réellement connaissance, que les masques tombent, et que la situation évolue vers plus d’humanité, de poésie, une certaine séduction… »
Mais une fois l’idée de base sur le papier, ça n’était pas gagné: le projet a mis du temps à se développer et plus encore à se financer. L’élan définitif est finalement venu de France, plus précisément d’Alain Attal, producteur réputé qui venait de travailler avec les Belges de Panache Production sur le très réussi Populaire.
» Mon producteur, André Logie, a montré un teaser à Alain Attal, qui y a vu quelque chose qui lui plaisait… À la base, l’idée du teaser, c’était de tourner quelques minutes à l’arrache, susceptible de faire passer l’esprit du film à un potentiel investisseur, selon l’adage bien connu : « un
petit dessin vaut mieux qu’un long discours ». On s’est retrouvé à 4 dans les souterrains de la Citadelle de Namur, avec Renaud Rutten, le chef op et l’ingé son, et André qui allait en personne parler aux touristes pour faire diversion et assurer un minimum de silence pendant les prises. On
découvre Joe, à la fois drôle et émouvant, à se filmer lui-même avec son téléphone, pour réclamer du secours… ou pour dicter ses dernières volontés.
Trois semaines plus tard, André emmène ça à Cannes. Objectif: aller chercher 300 000 euros en France, pour retrouver approximativement le montant que nous n’avions pas eu du Centre du Cinéma et permettre d’apporter des financements complémentaires (Wallimage, RTBF, tax shelter…). Le samedi soir le téléphone sonne. C’était André. J’avais pratiquement oublié qu’il était à Cannes. Il m’annonce qu’Alain Attal (Ne le dis à personne, Le concert, Polisse…) « monte » sur le film. André et Alain venaient de finir le tournage de POPULAIRE, et Alain a eu un coup de cœur pour notre projet. Au bout de quelques jours, Alain nous a amené Wild Bunch, Mars Distribution, FTD, certes dans des montants modestes, mais suffisants pour avoir un vrai décor, et payer une équipe… J’allais pouvoir ranger ma pelle, moi qui m’apprêtais à creuser un puits dans mon jardin, et à tourner avec une caméra prêtée… »
L’équipe n’est pas encore au bout de ses peines. A quelques jours du tournage, elle va devoir faire face à la défection bien involontaire de son acteur principal : Renaud Rutten se blesse avec la certitude de ne pas pouvoir marcher correctement pendant une vingtaine de semaines. Le coup est rude pour tout le monde, mais pour le coup, le hasard va bien faire les choses! Jonathan Zaccai, premier acteur approché, est tout à coup libre après le report d’un tournage. Et il accepte de rejoindre l’équipe au pied levé.
C’est donc lui que les spectateurs verront, tour à tout cynique, découragé, exalté, enragé et résigné au fond du puits, cherchant à convaincre sa seule interlocutrice peu réceptive de le sortir de ce guêpier.
Pas gagné…