Dieu habite Bruxelles et il fait du cinéma

Comme on chérit les frères Dardenne parce que (vous avez beau chercher un peu partout dans le cinéma mondial), ils sont uniques et formidables, on cultive une vraie passion pour Jaco Van Dormael, réalisateur parcimonieux qui porte en lui un univers qui n’a pas d’équivalent connu sur la planète ciné.

 

Baroques, surréalistes, poétiques, drôles, touchants, ses films se ressemblent tous et sont néanmoins très distincts les uns des autres. Ils sont comme leur créateur: généreux, directs, enflammés, imprévisibles, à la fois humbles et grandiloquents. Des OVNIS.
Des OVNIS rares puisqu’en 20 années de carrière, Monsieur Jaco aura tout juste tourné quatre longs métrages. Mais quels longs métrages !

 

Dans cette filmographie atypique, chacun a son favori: Toto le Héros, l’œuvre de la révélation, Le Huitième Jour, sans aucun doute son film le plus abordable, l’œuvre, de la consécration, l’incroyable MrNobody (notre préféré), d’une folle ambition, trop complexe pour certains, gros échec commercial, œuvre de la maturité pourtant, totalement maîtrisée. Un film culte, par excellence.

Et peut-être (mais il est encore trop tôt pour le dire) Le Tout Nouveau Testament qui sort le 2 septembre après des débuts plutôt tonitruants à la Quinzaine des Réalisateurs cannoise

 

 

Le Tout Nouveau Testament peut être vu comme une synthèse des trois précédents longs métrages (sans oublier un clin d’œil au spectacle vivant Kiss&Cry qui a valu à Jaco et à sa compagne Anne De Mey, une autre reconnaissance critique). C’est un film improbable sur un pitch unique assez halluciné, qui explose comme un feu d’artifices coloré qui ne serait composé que d’une multitude de bouquets finaux. Oui, autant vous préparer : ça part dans tous les sens.

 

On rit (beaucoup) des outrances de Dieu, de l’arrivée d’Adam (merveilleux Dominique Abel), du clin d’œil liégeois de Jésus (David Murgia, incontournable), des délires de « Jackass » Kevin, on sourit des références multiples que Jaco sème sur sa route comme autant de petits cailloux cinéphiles, on a le cœur serré avec Pascal Duquenne dans une des courtes séquences du film les plus émouvantes, on s’amuse de la prestation lunaire de Yolande Morceau, irrésistible, de l’audace d’avoir confié un rôle très inhabituel et borderline à l’icône Catherine Deneuve, de la liberté du propos lui-même qui, quoiqu’en dise Jaco, risque de ne pas plaire à tout le monde.

 

 

Ce serait déjà beaucoup, mais ce n’est en gros que la périphérie de ce Tout Nouveau Testament, bien plus roboratif à l’écran qu’en livre (vous découvrirez pourquoi à la toute fin du film). Le cœur de ce long métrage est une quête: celle de six apôtres supplémentaires par la fille de Dieu.

Blasphème? Bah oui, un peu: si vous êtes du genre coincé, passez votre chemin, ce délire n’est pas pour vous.

 

 

Tout cet arc narratif est mené par la vraie héroïne du film, Ea, interprétée par la prometteuse Pili Groyne, qui malgré son très jeune âge n’a pas froid aux yeux. Ea qui a pioché six fiches au hasard dans les dossiers de son père va, avec l’aide d’un SDF qui ressemble bien plus à Dieu que le Dieu de service, arrondir le nombre des apôtres à 18. Parce que sa mère fan de baseball estime que c’est le nombre idéal. Dingue? Oui, un peu…

 

La découverte et la conversion de ces nouveaux disciples rythment le film en six saynètes qui pour le coup nous éloignent singulièrement de la comédie iconoclaste incarnée par Benoit Poelvoorde. Ici, l’univers est poétique, décalé, irréel, naïvement gentil, façon Amélie Poulain.

De la voix off à la délicatesse imprévisible des personnages, impossible de ne pas penser au film de Jeunet. La référence peut séduire ou irriter. À Cannes, une certaine presse française (Inrock, Telerama) a sorti l’artillerie lourde face à cette filiation. Mais dans l’ensemble, l’accueil a été favorable, voire dithyrambique le jour de la Première cannoise.

 

 

Outre l’improbable scénario et ses fulgurances dans lesquelles on perçoit nettement la patte de Thomas Gunzig coscénariste avec qui il va  falloir compter (il a aussi signé le sublime scénario de Mon Ange, tournage à la rentrée), outre les audaces de mise en scène (Jaco est un pionnier, un vrai), on se doit de saluer le travail photographique de Christophe Beaucarne.

Libéré du joug du classicisme, le virtuose belge, fils de qui vous savez (mais si, le canari, la petite gayole, tout ça), multiplie ici les moments de bravoure. On peut subodorer que cette recherche incessante de la singularité agace les puristes, mais elle tapera dans la rétine des plus curieux. Ceux qui ont vu (et aimé) Mr Nobody imaginent déjà à peu près à quoi s’attendre en matière d’expérimentation. Les autres, accrochez-vous. Et ouvrez votre esprit et vos chakras.

 

 

Qu’on l’adore ou pas, Le Tout Nouveau Testament est certainement un film à découvrir parce qu’il ne ressemble à aucun autre et qu’il est une authentique création originale : folle, empirique parfois, osée toujours.

Un de ces films qui fait avancer le schmilblick et qu’on ne risque pas d’oublier de sitôt.

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