C’est ce mercredi que sort Patser, troisième film du duo de choc formé par Adil El Arbi et Bilall Fallah, et petite bombe cinématographique, films de gangsters complètement déjanté sur fond de trafic de coke entre le port d’Anvers et la banlieue chic de Bogota. Nous avons rencontré les deux réalisateurs, qui nous parlent du film, et de leur carrière qui s’envole des deux côtés de l’Atlantique.
Quelle est l’origine du projet?
Adil El Arbi
Il faut savoir qu’Anvers, c’est la capitale historique de la cocaïne en Europe. En 2013, 4 jeunes ont volé de la coke à la mafia colombienne, ce qui a lancé une vraie guerre des gangs en Hollande, qui est d’ailleurs toujours en cours! Un autre fait divers nous a inspiré, l’histoire d’un gang de policiers qui n’hésitaient pas à tabasser des illégaux pour leur voler de la drogue ou de l’argent.
Bilall Fallah
On a toujours voulu faire un film de gangsters, et c’était l’histoire parfaite pour ça! On parle beaucoup de la criminalité à Bruxelles, alors que la Flandre serait propre…
Adil El Arbi
Pourtant 200 à 300 tonnes de coke transitent par Anvers chaque année, et les Anversois, plutôt riches, et plutôt blonds, en consomment énormément. Le Sud d’Anvers sniffe un max! Les bandes urbaines, c’est Bruxelles, mais la coke, c’est Anvers!
Avant, la coke transitait surtout par Rotterdam, mais la Hollande a mis en place une tolérance zéro. A Anvers, tous les chemins mènent au port. Et pour que le port reste compétitif, il faut alléger les contrôles. Faire en sorte que les bananes passent plus vite par Anvers. Et tant pis si il y a un peu de coke qui passe.
Vous adoptez une esthétique directement inspirée des jeux vidéo?
Bilall Fallah
Les jeunes dont on parle y jouent beaucoup, et finissent par voir la vie comme un grand jeu vidéo. Quand ils jouent à GTA 4, ils se sentent Tony Montana dans Scarface! C’est devenu une réalité pour eux, ils ne font plus la différence.
Adil El Arbi
La nouvelle génération de gangsters a grandi avec les films besoin sûr, mais aussi avec les jeux vidéo et le rap. Du coup c’était logique d’adopter cette esthétique clinquante, d’éviter un truc trop réaliste en gris clair et gris foncé. Un « patser », c’est un frimeur, quelqu’un qui veut en mettre plein la vue, on devait rester cohérents. Disons que la subtilité était rédhibitoire. On avait adoré par exemple cet art de l’excès dans Le Loup de Wall Street, c’est tellement explosif qu’on s’éclate avec les personnages – mais sans la drogue – en voyant le film. On voulait assumer le spectacle. D’autant que les films flamands sont souvent plutôt posés, scandinaves. Nous, on voulait que ça explose dans tous les sens!
La progression narrative se fait au rythme des 7 péchés capitaux, d’où cela vient-il?
Adil El Arbi
C’est un hommage aux films de gangsters où la religion tient un rôle prédominant, d’autant que notre personnage principal, Matteo, a ça dans le sang, il est à moitié italien, alors il est culturellement obsédé par le religion catholique. Et puis la Flandre aussi est un pays catholique historiquement.Chaque péché revient chez chacun des personnages, et puis c’est très universel finalement. La combinaison entre la progression narrative au fil des 7 péchés, et par palier comme dans les jeux vidéos nous a vite convaincus.
Comment on trouve les moyens de ses ambitions pour faire un film pareil en Flandre?
Bilall Fallah
C’est vraiment grâce à nos producteurs. On est tous dans le même état d’esprit, on travaille beaucoup, et tout le budget va dans le film, à l’écran. On a la même équipe depuis Image et Black, et on s’est tous donnés à fond.
Quelles étaient vos influences directes?
Adil El Arbi
Les films américains de gangsters bien sûr, mais plus près de nous en Belgique il y a aussi un film comme Les Barons. D’ailleurs le réalisateur Nabil Ben Yadir, nous suit depuis le début, a produit Patser, il a co-écrit le scénario avec nous, il joue même dans le film! C’est un peu Les Barons flamands pour nous. On voulait retrouver cette énergie, cet humour, et aussi cette originalité dans la forme. Et puis Les Barons s’interrogeait sur ce que c’était d’être un jeune d’origine marocaine aujourd’hui à Bruxelles, nous on s’est posé la même question à Anvers.
Bilall Fallah
On adore aussi La Cité de Dieu, qui nous a beaucoup marqués. Et puis les films de John Woo, Tarantino, Spike Lee…
Adil El Arbi
On s’est beaucoup amusé avec toutes ces références, toutes les deux scènes on se disait: « Tiens, là on peut caser une petite référence ».
Les dialogues sont très drôles, le ton est souvent humoristique, mais il y a des scènes très dures. Comment on gère cet équilibre?
Adil El Arbi
En fait, l’idée du film nous est venue entre Image et Black, qui étaient deux films vraiment très sombres, et on voulait quelque chose de plus léger. Mais à l’écriture, on s’est quand même dit qu’on ne faisait ni juste une comédie, ni juste un film d’action à la Fast and Furious. Avec Nabil Ben Yadir justement, on a travaillé sur cette réalité dont on s’inspire, et qui elle est très violente. On ne voulait pas faire Black 2 non plus, pourtant on aurait pu avec cette histoire, mais on voulait changer de ton.
Bilall Fallah
C’était difficile de trouver cet équilibre, aussi bien à l’écriture que pendant le tournage. Ca a vraiment été une quête tout du long.
Vous mettez en scène un personnage féminin fort encore une fois?
Adil El Arbi
Oui, pourtant finalement, c’était la première fois qu’on avait un personnage principal masculin après Image et Black! En fait, on essaie souvent d’éviter d’avoir un héros trop proche de nous, ça nous permet de garder une distance, on trouve ça plus intéressant. Mais là on voulait vraiment travailler avec Matteo (Simoni). Mais avoir un personnage féminin fort dans un film de gangsters, c’est une évidence pour nous. Indispensable. Et cette fille d’origine marocaine qui se bat dans ce monde très masculin, et qui est loin d’être un objet, c’est important.
Pour le casting, on a mélangé des pros comme Matteo, et des artistes qui n’avaient pas encore fait de cinéma mais dont on connaissait l’univers, que ce soit Junes Lazaar, qui est un grand danseur, Said Boumazoughe, un rappeur, ou Nora Gharib, qui est une super chanteuse. Ali B qui joue Hassan dans le film, c’est l’un des plus grands rappeurs hollandais! On avait envie de faire se rencontrer toutes ces influences, et au final c’est assez explosif.
Vous menez une carrière américaine en parallèle…
Bilall Fallah
On a réalisé deux épisodes de la série Snowfall là-bas notamment. C’est une expérience très ambivalente. On a un grand confort de tournage, avec un gros budget. Le revers de la médaille, c’est que c’est avant tout un business, il faut rendre des comptes constamment aux producteurs, aux studios. Chaque choix artistique doit être longuement argumenté. Cela provoque de la frustration, mais on a appris à justifier chaque choix que l’on pose aujourd’hui, à en peser le pour et le contre. Alors quand on est revenus faire Patser, c’était quand même une grande libération artistique!
Comment vous vous positionnez par rapport aux acteurs du marché comme Netflix?
Adil El Arbi
On dit que Netflix va tuer le cinéma, mais ce n’est pas la première fois qu’on dit ça, et le cinéma est toujours là. On va devoir s’adapter. Netflix donne une grande liberté aux auteurs, ils osent prendre des risques. Si on continue à se restreindre, à ne produire que des films très génériques, les auteurs vont tous filer chez Netflix, et les spectateurs avec. Mais nous, les films de cinéma, on veut continuer à les faire pour le cinéma, et les diffuser au cinéma. Patser, on l’a fait pour le cinéma, et il n’est pas question de le vendre à Netflix. C’est un film spectaculaire, il est conçu pour le grand écran. Netflix peut nous donner tout l’argent du monde, on préfère placer Patser dans des salles de cinéma!
Quels sont vos projets?
Adil El Arbi
On va peut-être faire Bad Boys 3, peut-être pas! On l’a déjà refusé à une époque, parce qu’on voulait d’abord tourner Patser, mais bon, c’est Hollywood, ça part, ça revient, c’est une question d’opportunité, et de disponibilité! On nous attend aussi pour Le Flic de Beverly Hills 4, mais pour l’instant, ça n’a pas l’air d’être une priorité pour le studio. Si on veut, franchement, on peut aller faire des séries aux Etats-Unis, il y a du budget, et de la place pour nous. Mais on veut faire du cinéma. Et en Belgique, une fois que tu as reçu des subsides de l’état, tu es sûr de faire le film, contrairement à ce qui se fait aux Etats-Unis. Ici, on développe des projets avec Nabil Ben Yadir. On verra!
Qu’est-ce que vous attendez du cinéma belge dans les mois qui viennent?
Adil El Arbi
On a très hâte de découvrir Zagros de Sahim Omar Kalifa. On le connaît depuis longtemps, il a un parcours incroyable, c’est un réfugié kurde irakien, ses courts métrages ont remporté un nombre de prix incroyables, et on a hâte de découvrir son premier long métrage.
Bilall Fallah
On a aussi très envie de découvrir le film de Bulent Otzurk, Blue Silence. Là aussi c’est un réfugié kurde, de Turquie cette fois.
Adil El Arbi
C’est intéressant, ce sont deux Belges, deux flamands, mais d’origine kurde, c’est vraiment une nouvelle génération de cinéastes qu’on a envie de suivre!