Sur le tournage de… « Le Syndrome des amours passées »

Photo: @AliceKhol

Visite éclair sur le plateau fantasque et enjoué du nouveau long métrage d’Ann Sirot et Raphaël Balboni, Le Syndrome des Amours Passées, avec Lucie Debay et Lazare Gousseau. 

Juillet 2022. Rendez-vous est donné derrière la Gare du Midi à Anderlecht, dans un grand bâtiment industriel ré-affecté en bureaux, espaces de co-working et de rencontres, et là-bas, tout au fond, en studios de cinéma. C’est ici que l’équipe du Syndrome des amours passées a posé ses valises, ses spots, ses machines à fumée et même ses boules à facette pour quelques jours, afin de raconter l’histoire de Rémi et Sandra, dont le désir d’enfant est contrarié par un bien étrange mal. Ann Sirot nous explique: « Rémi et Sandra essaient d’avoir un bébé mais n’y arrivent pas. Personne ne trouve ce qu’ils ont, jusqu’à ce qu’un expert danois leur diagnostique le syndrome des amours passées. Pour devenir fertiles, ils doivent tous les deux recoucher avec leurs ex. Tous leurs ex. »

La situation est posée, le ton peut-être aussi. « On retrouve clairement certains éléments de la comédie romantique, s’amuse Raphaël Balboni, même si comme dans Une vie démente, on parle aussi de choses plus difficiles. » Lucie Debay, qui retrouve le couple de cinéastes après l’expérience Une vie démente acquiesce: « Ce n’est pas rien en fait pour nos personnages de recoucher avec tous leurs ex. Ca peut même être un sérieux défi. » 

C’est une véritable traversée en fait. En remontant le fil de l’histoire de leur vie sentimentale, ils vont se découvrir, et beaucoup changer. « Ils se retrouvent à ouvrir pas mal de boites de Pandore », remarque Lazare Gousseau.

Il faut dire que l’on n’est (nait?) pas tous égaux face à notre « historique sexuel » comme l’appelle le comédien. La scène à laquelle on assiste est à cet égard révélatrice. Au fond de leur lit, Sandra et Rémi font le point sur leur passé/ passif, et s’aperçoivent que Sandra a été beaucoup plus active sexuellement et sentimentalement que son compagnon. C’est évidemment un choc pour ce dernier.

« Le film porte un regard très pertinent et très actuel sur le couple aujourd’hui: jusqu’où on est prêt à aller pour avoir un enfant? Qu’est-ce qu’on sacrifie? De quoi est-on prêt à parler au sein du couple? » confie Lucie Debay. Derrière ses abords de comédie, Le Syndrome des amours passées va fouiller pour voir ce que l’hétéronormativité fait à nos histoires d’amour. « Nous avons eu envie de questionner par la fiction et ce postulat un peu improbable, cette comédie de moeurs, les notions qui forment le socle des relations hétéronormées, poursuit Ann Sirot. Il y a deux choses très importantes dans la façon dont on se construit dans les couples hétéro, c’est la reproduction et la fidélité. On a voulu trouver un postulat qui fasse qu’il faille transgresser une règle pour réaliser l’autre, afin de créer toutes sortes de situations qui permettent de réfléchir et de retourner les choses. »

Plateau_LSDAP©AliceKhol_BD-2
Photo: @AliceKhol

Le film parle d’amour, de sexe et de désir, « comment même en choisissant d’être en couple, on reste des êtres désirés et désirant », précise la réalisatrice, il parle aussi du poids que le patriarcat fait peser sur les épaules des couples, des femmes comme des hommes. La cinéaste se réjouit d’ailleurs de la façon dont Lazare Gousseau s’est emparé du rôle de Rémi: « ce que Lazare fait très bien, c’est faire exister toute l’insécurité masculine que génère le patriarcat. Comment les injonctions à avoir une certain type de sexualité peuvent générer des complexes. Il a la confiance d’incarner la fragilité. »

Lazare Gousseau et Lucie Debay ont commencé bien avant le tournage à travailler leurs rôles avec les cinéastes. Ils ont fait de nombreuses répétitions, endossant avec de plus en plus d’aise les costumes de Rémi et Sandra, qu’ils ont contribué à imaginer. La méthode d’Ann Sirot et Raphaël Balboni est assez particulière, les dialogues sont souvent créés sur le plateau par les comédien·nes qui improvisent dans des situations données. Pourtant, si les dialogues ne sont pas fixés dès le départ, la parole a un rôle crucial, dans le drame comme dans la comédie. « Nos films mettent souvent en scène des couples qui disent tout haut ce que l’on pense tout bas, ils ont une parole libérée, n’hésitent pas à mettre sur la table des choses embarrassantes, à en débattre, » constate Raphaël Balboni.

« Ce qui intéresse Ann et Raphaël, il me semble, partage Lazare Gousseau, c’est d’aller chercher où ça gratte dans les situations. » Il enchaîne avec une comparaison inattendue mais parlante, justement. « Il y a un comique de la parole chez eux. Comme dans les films de Tarantino où les personnages parlent, parlent, parlent, on finit par ne plus savoir de quoi il s parlent vraiment. Mais on suit leur chemin de pensée et leur logique. »

Ca parle beaucoup donc, mais ça rêve aussi, et même ça danse, et ça fantasme. Les cinéastes ont choisi d’incarner les scènes de sexe dans ce qu’ils appellent des métaphores, « qui montrent la sexualité de manière complètement décalée, explique le réalisateur. On a travaillé avec un chorégraphe, et on met les acteurs et les danseurs dans des situations assez oniriques. On s’est beaucoup amusé à construire ça avec la déco, les costumes, l’image et le chorégraphe, pour construire des images très particulières. » 

Alors que nombre de ces scènes doivent encore être tournées quand on visite le plateau, Lucie Debay s’enthousiasme: « ce sont des rôles très jouissifs à jouer, avec des situations complètement folles. J’ai adoré chercher avec Ann et Raphaël en amont, penser les personnages avec eux. Leur méthode fait qu’il y a une détente sur le plateau que je n’ai jamais vue. Parfois, j’ai l’impression d’être en roue libre, mais en fait non, on a déjà traversé tellement de choses. Je me sens libre d’être juste là à apprécier le moment, et à leur faire confiance. »

Plateau_LSDAP©AliceKhol_BD-1
Photo: @AliceKhol

Cette liberté sur le plateau est constitutive du cinéma de Sirot & Balboni. Ils déjà pu la tester sur le tournage d’Une vie démente, qui avait été produit avec un tout petit budget – le film faisait partie des premiers projets soutenus dans le cadre des aides aux productions légères. On connait la carrière du film, des prix dans les festivals du monde entier, un public bouleversé et enthousiaste, et pas moins de 7 statuettes lors des derniers Magritte du Cinéma, dont celle du meilleur film. Autant dire que le passage au deuxième long métrage étant aussi redouté qu’attendu.

Pourtant l’atmosphère est à la fois sereine et déterminée sur le plateau, aussi appliquée que joyeuse. « Une vie démente nous a donné les moyens de construire notre confiance, confie la réalisatrice. Je me dis qu’heureusement qu’un film comme Le Syndrome n’était pas notre premier film, ça aurait créer du stress et des insécurités qui auraient pu nuire au film. On gagne évidemment beaucoup en confort d’être mieux produits, on a une plus grande équipe, on est plus soutenus, plus entourés. L’enjeu, c’était de conserver la qualité de la cohésion, avec un projet plus gros, avec plus de personnages. Il fallait une équipe assez grande pour trouver un confort de travail, mais assez petite pour garder la dynamique du faire ensemble. J’ai le sentiment qu’on a réussi, même si ça a été compliqué. »

Quand on demande au duo ce qui lui tient le plus à coeur avec ce nouveau projet, leurs yeux brillent en partageant leur rêve de cinéma. « Ce qui est très important pour nous, commence Ann Sirot, c’est que le public soit autant du côté de Rémi que de celui de Sandra. C’était déjà important sur Une vie démente, ne pas prendre partie pour un personnage, mais rendre justice à la complexité de la situation. »

« Et puis garder l’humour, tout en parlant de choses parfois un peu difficiles, et en allant dans l’émotion, » renchérit Raphaël Balboni. « Je sais que quand je suis derrière le combo, conclue Ann Sirot, que je regarde la scène en train de se tourner, je me dis toujours: « J’espère que ce sera une vraie expérience de partage avec le spectateur. » On essaie de ne jamais perdre ça de vue, le partage. »

Rendez-vous sur les écrans en 2023.

 

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