Septembre 2018. Le soleil est au beau fixe sur la côte belge. Du matériel de tournage, camion, spots, fly cases et autre câbles perturbe le calme d’un quartier pavillonnaire de La Panne caché dans les dunes. L’équipe de Lola vers la mer, le nouveau film de Laurent Micheli s’est installée dans une charmante maison de bord de plage pour quelques jours, avant de reprendre la route. Les deux héros du film, Mya Bollaers, qui incarne Lola, jeune femme transgenre de 18 ans, et Benoît Magimel, qui joue son père, se retrouvent après s’être tragiquement éloignés l’un de l’autre.
L’émotion est palpable sur le plateau, même dans la salle-de-bain exiguë qui s’improvise salle de visionnage où une partie de l’équipe s’agglutine autour du combo. Lola et son père remontent littéralement le temps en revenant sur les lieux de leur histoire familiale, et s’aperçoivent que chacun, de son côté, a écrit sa propre version de cette histoire familiale pas si commune. Ils remontent le chemin des souvenirs, et chacun déroule sa propre relecture du passé.
« Lola est une jeune fille de 18 ans, qui refuse de s’arrêter aux apriori et porte un regard particulier sur le monde. Elle cherche à se libérer de ses entraves, pour être bien avec elle-même. Et elle doit faire la paix avec son passé. Avec l’enfant qu’elle a été. La famille dans laquelle elle est née. Avec ses souvenirs, nous explique Laurent Micheli pendant la pause-déjeuner. Elle va oser s’affirmer face à son père, et face au monde. C’est un coming of age movie finalement, l’histoire de quelqu’un qui grandit et devient pleinement lui-même en se ré-appropriant son passé de manière juste. Cela va lui permettre de lâcher prise. »
« Moi j’ai du mal à accepter l’enfant que j’ai pu être, nous confie la jeune Mya Bollaers qui vient de nous rejoindre. J’ai l’impression que cet enfant m’a volé une partie de mon enfance. Mais ce n’est pas parce qu’on a été un petit garçon qu’on ne peut pas être une fille, une femme. Et je me rends compte aujourd’hui que ce n’est pas parce que j’accepte que cet enfant a existé que je ne peux pas être une fille. »
C’est la première fois que la jeune fille qui se découvre comédienne tourne un film, ou même joue. Elle est allée un peu par hasard au casting organisé par le réalisateur partout en Francophonie. Elle avait le temps, et elle était curieuse. A sa grande surprise, elle a été choisie. Mais pourquoi avoir accepté ce challenge ?
« Avant même de lire le scénario, j’avais déjà envie d’interpréter Lola, je pensais que cela me donnerait l’occasion d’offrir une autre image de la transidentité, montrer une vraie personne trans sur grand écran, c’est rare. La lecture du scénario a conforté mon envie et mon désir. Lola n’est pas une victime. Ce que j’aime dans le film, c’est qu’il n’est pas centré sur la transidentité de mon personnage, qui n’est que l’un des aspects de Lola. C’est une tranche de vie qui peut être commune à plein de gens. Il montre la transidentité non pas comme quelque chose de dramatique, mais comme quelque chose de commun, qui se vit au quotidien. »
« Je crois que ça sert aussi à ça le cinéma, renchérit le cinéaste, à montrer des gens que l’on ne voit pas d’habitude, à filmer des corps et des visages que l’on ne voit pas suffisamment. A leur donner de la visibilité. Les sublimer. Les porter en héros. Je voulais faire de Lola une héroïne, une jeune femme en lutte, pas une victime. Une personne, avec toute sa richesse et ses contradictions, et pas juste un sujet de société. Et je voulais absolument que mon actrice soit elle-même une jeune femme trans. Il faut laisser les minorités se ré-approprier leur histoire, incarner leurs héros. Cela permet de ne pas regarder le sujet avec distance, mais d’y être en plein coeur. »
Car Lola vers la mer, c’est aussi l’histoire d’une relation entre un père et son enfant qui s’est distendue avec le temps, les drames et l’incompréhension. Le personnage porté par Benoît Magimel est loin d’être un monstre buté et caricatural, il affiche ses failles, dont la plus grande est certainement de ne pas avoir réussi dans son rôle de père.
« Si Lola est une enfant qui se sent incomprise dans sa famille, il ne faut pas omettre que son père n’est quant à lui pas face à l’enfant qu’il attendait, et qui ne le laisse donc pas être non plus le père qu’il rêvait d’être, confirme Laurent Micheli. D’autant qu’au fil du récit, les liens de filiation, la complicité, les ressemblances refont surface au hasard de certaines situations. C’est un voyage initiatique et un vrai parcours émotionnel aussi bien pour Lola que pour son père, qui se retrouve ébranlé dans ses certitudes. Elle lui amène beaucoup, notamment un autre type de regard sur le monde. »
Car finalement, Lola est une jeune fille de son temps, en lutte contre les clichés que l’on veut accoler à son identité de jeune femme transgenre, mais aussi de femme, tout simplement.
« Lola, c’est une fille pleine d’envies, de rêves, de regrets, elle ne cherche pas ni à être une femme, ni à être un homme, elle veut s’affranchir des normes, et juste être elle, nous confie Mya Bollaers. Socialement et physiquement, elle ressent le besoin d’être une femme, mais ce n’est pas ça qui doit l’empêcher de faire du skate board par exemple. Etre une femme ne doit pas lui apporter des contraintes en plus, mais bien la libérer.
Le tournage du film devrait se poursuivre jusqu’à la fin octobre, ici et là en Belgique. Aux côtés de Mya Bollaers et Benoît Magimel, on apercevra également entre Bruxelles et la Côte belge, on retrouve évidemment d’autres comédiens belges, comme l’actrice flamande Els Deceukelier, bouleversante dans Home, Jérémie Zagba, héros de La Trêve, Delphine Bibet (La Part Sauvage, Torpedo, Nue Propriété), le jeune comédien belge Thao Maerten (que l’on verra aussi dans Jeux d’influence ou L’Ecole est finie) ou encore Anémone Valcke (Moscow, Belgium, Offline, Brasserie Romantique).
Derrière la caméra et au montage, deux figures montantes du cinéma belge déjà à l’oeuvre sur le premier film du réalisateur, le chef opérateur Olivier Boonjing, à qui l’on doit également l’image de La Trêve, Je me tue à le dire ou Parasol, et la monteuse Julie Naas, que l’on retrouve également au générique de La Trêve, Je me tue à le dire, ou plus récemment La Grand Messe. Une famille de cinéma, en somme.
Lola vers la mer est produit par Benoit Roland pour la société belge Wrong Men, à qui l’on doit notamment La Part Sauvage, Dode Hoek, Parasol ou Prejudice, mais aussi La Grand Messe de Méryl Fortunat-Rossi et Valéry Rosier, et qui produira également le prochain film de Rachel Lang, Mon Légionnaire.