Suite et fin de la longue interview d’Hélène Fillières qui s’attarde ici sur son passage à la mise en scène. Sa passion transparaît clairement. Comme la conscience d’être passée à autre chose, un pouvoir qui la fascine et qu’elle théorise avec un certain brio.
Pas certain que le cinéma francophone ait définitivement perdu une actrice. Par contre, il est possible qu’il se soit trouvé une nouvelle réalisatrice.
[Les trois premières parties de cette interview sont accessibles ICI, ICI et ICI]
Quel rôle joue l’argent dans le film ?
Si le film ne montre jamais d’argent, je voulais qu’il soit partout. Dans les décors, les costumes, mais aussi dans le lexique des protagonistes. Le mot argent revient, telle une obsession, un tic de langage, le symptôme d’une pathologie, qui, dans le cas du Banquier, lui sera fatale. Je voulais que l’argent soit un enjeu permanent. Et qu’une des questions principales soit toujours en suspens : comment l’amour et l’argent coexistent-ils ? Dans quelle mesure un rapport amoureux, s’il peut se tarifer, perd-il de sa valeur ? Tout ce qu’on en voit, c’est la promesse d’un million de dollars, qui n’est que leur façon malade, à tous les deux, de quantifier l’amour qu’ils se portent (d’abord lui, en lui en faisant la promesse, puis elle en exigeant qu’il la tienne). Ça c’est la dimension romantique que peut jouer l’argent dans leurs rapports, telle une bague, autre objet symbolique qui circule entre eux.
Pour le reste, dans un monde comme celui dans lequel naviguent cet homme et cette femme, l’argent peut être une arme terrible. Synonyme de toute puissance mais aussi d’humiliation, l’un et l’autre en viennent à s’en servir comme une sorte d’objet transitionnel, une patate chaude qui les encombre.
[Hélène Fillières, actrice dans la série Mafiosa]
Vous avez choisi une mise en scène très affirmée avec un parti pris esthétique assez fort. Quels étaient vos objectifs ?
Je voulais avant tout raconter une histoire d’amour, je la voulais belle et élégante. Il fallait que le cinéma sublime tout. D’où l’idée d’une forme esthétique assez précise. Un peu comme dans un conte, un poème noir, je voulais que les personnages deviennent des figures presque irréelles. D’abord par respect pour les vrais protagonistes de cette histoire, puis par goût, je voulais m’éloigner le plus possible de toute forme de réalisme. Je voulais qu’il y ait une atmosphère particulière à la lumière, et un vrai style narratif au cadre. Nous en avons discuté longuement avec le chef opérateur Christophe Beaucarne et c’est en me montrant le travail d’un photographe australien (Bill Henson) que nous avons décidé de créer une lumière toute en semi-obscurité, où les visages et les peaux ressortiraient par touches lumineuses dans la pénombre, où les scènes d’amour seraient silhouettées, toujours à une certaine distance. Je voulais que le film soit comme un tableau.
La musique est très présente dans le film. Qu’est-ce qui vous a inspiré dans le travail de Daho ?
Toujours dans l’idée du conte, ou du poème, je voulais créer une atmosphère onirique aussi à travers la bande son et que l’on puisse s’y reconnaître comme lorsqu’on fredonne un air familier. Etienne Daho a été une rencontre phare de cette aventure. Tout est parti de mon désir d’utiliser une chanson précise de son répertoire : L’Adorer. Je savais qu’elle servirait de base à la musique du film. Et puis, nous nous sommes parlé et c’est en discutant du scénario qu’Etienne m’a suggéré deux autres titres qui lui semblaient adhérer parfaitement à mon histoire (Mythomane et Les liens d’Éros). Je les ai écoutés, et j’ai tout de suite reconnu le climat que je cherchais. Il me les a confiés et c’est ainsi qu’est née toute la bande son du film.
Une Histoire d’Amour est votre premier film. Si vous comparez avec votre expérience d’actrice…
C’est incomparable. Il y a une dimension créatrice dans le fait de faire un film – depuis l’écriture du scénario jusqu’aux dernières étapes de finitions – totalement absente dans le métier d’acteur, où l’on n’est pas le sujet de son désir. Un acteur ne désire pas. Son seul désir est d’être désiré.
Et si un parallèle pouvait être fait entre le métier d’actrice et ce film, je dirais que cette histoire-là, celle du Banquier et de sa maîtresse, sans que je m’en sois rendue compte au début, illustre toutes les questions que j’ai pu me poser en tant qu’actrice. En devenant actrice, j’ai trouvé un endroit merveilleusement dangereux où la question de mon désir se réglait facilement : être désirée. Où la valeur que je me suis accordée pendant des années est longtemps restée proportionnelle au bon vouloir des autres. J’ai donné un sens à ma vie en existant dans le regard d’autrui. J’ai trouvé du plaisir à m’offrir et à répondre au désir des metteurs en scène. J’ai adoré me soumettre à leur volonté. J’y reconnaissais bien tous les signes de l’asservissement mais je n’ai jamais voulu m’en affranchir, puisque j’y puisais un évident plaisir, comme sous emprise. Un plaisir ambivalent. Un plaisir masochiste. Car quel autre métier au monde autorise quelqu’un à demander à quelqu’un d’autre de refaire des dizaines de fois la même chose pour parvenir à « la prise parfaite » et que l’on s’y attèle avec autant de bonne volonté !
Sans doute La Jeune Femme de mon film est-elle une métaphore de l’actrice que je suis et quand à la fin, elle tue son maître, c’est peut-être le moment où j’ai décidé de passer à la réalisation…