Valérie Nagant et ces femmes qui nous font rêver

En 2013 et 2014, Cinevox a suivi avec passion le travail de Rudy Lamboray, l’homme qui a fait des acteurs belges de vrais salopards de cinéma: noir et blanc contrasté, regards glaciaux, le parti-pris a pu dérouter au début, mais l’exposition itinérante qui en a été tirée a fasciné des milliers de spectateurs et le somptueux livre sorti fin 2014 (et toujours en vente dans les bonnes épiceries) est vite devenu un objet culte.

 

Un an plus tard, une photographe scrute à son tour le cinéma belge. Mais avec son regard à elle.  Un regard de femme, complice et admiratif.  Et une démarche très différente.
Valérie Nagant a rencontré, une à une, les femmes du cinéma belge et les a immortalisées dans un livre qui vient de sortir en librairie. Un joli objet qui fera un merveilleux cadeau pour les fêtes de fin d’année de tous les cinéphiles.

 

L’exposition de Valérie Nagant a été présentée en avant-première au festival d’Angoulème (photo : Christophe Brachet)

 

Aujourd’hui, débute pour l’artiste une nouvelle étape de son long périple: rencontres avec la presse et les cinéphiles, expositions itinérantes, séances de dédicaces. Un tout nouveau métier pour cet artiste plutôt timide, mais décidée à accompagner ses photos vers le public. Parce qu’elles le méritent.

« Je me sens beaucoup mieux derrière un appareil photo que devant une salle pleine de journalistes ou de visiteurs à qui je dois m’adresser », admet Valérie. « En même temps, je trouve que je dois porter ce projet jusqu’au bout, promo comprise, parce qu’il m’a fait beaucoup de bien dans ma vie et que toutes ces femmes que j’ai rencontrées ont été importantes pour moi. »

Quelques-unes sont connues mais peu finalement. J’espère donc, modestement, donner envie au public belge de découvrir tous ces films que j’ai découverts en réalisant ce livre et à travers eux, toutes ces femmes formidables, actrices, réalisatrices ou techniciennes qui comblent notre cinéma de leur talent.
Le bon côté de ce travail de promo est de rencontrer des gens qui viennent me parler parce qu’ils ont compris le sens de mon travail ou ont été marqués par telle ou telle photo. C’est évidemment touchant. »

 

 

Contrairement au travail de Rudy Lamboray qui décline un thème précis (un acteur, un fond blanc, un noir et blanc dur), la démarche de la blonde photographe est multiple, basée sur la rencontre et la discussion, les émotions…

 

« Il n’y avait pas de fil conducteur. Moi j’ai plein d’images dans la tête et il faut que ça sorte. Évidemment, elles m’ont aidée: qui mieux que des femmes de cinéma sont capables de me faire renouer, moi, avec des émotions que j’avais un peu perdues. Elles sont toutes différentes et je ne tenais absolument pas à uniformiser le travail. Je suis même persuadée que la même rencontre avec la même personne trois semaines plus tard aurait pu donner tout autre chose : on change tous les jours, on a des humeurs différentes. »

 

 

Très différentes les unes des autres, les photos épatent par leur atmosphère, la technique mise en oeuvre, mais aussi par l’intensité de la présence de l’actrice devant l’objectif de Valérie. Si le livre alterne les styles et les mises en situation, toujours personnalisées, on ne peut s’empêcher de frissonner en croisant le regard des modèles qu’on sent si totalement en confiance qu’elles se livrent totalement. S’il y a un fil conducteur quelque part dans le travail qui nous est ici proposé, c’est bien celui-là: l’actrice nous offre une partie de son âme et certains visages sont tout simplement bouleversants.

 

 

« La mise en contexte se passe au moment de la rencontre : je laisse mes modèles très libres. Il n’y avait pas de maquilleuse ou de coiffeuse. Très rarement en tous cas. Seules quatre personnes me l’ont demandé. Avant chaque séance, le modèle et moi avons parlé assez longtemps. Et deux femmes seules dans une pièce ça donne des choses assez hallucinantes parfois. On s’est confiée, on a ri, on a pleuré aussi. Quelque part, il n’y avait pas d’avant et pas d’après. Il y avait donc une espèce de liberté qui donne des résultats assez intenses parfois. Les photos viennent de là. Parfois les gens me disent qu’ils n’ont pas reconnu une actrice tout de suite. Même s’ils savent tout à fait qui elle est. J’aime bien ça. J’ai l’impression d’être allée un peu plus loin que l’évidence. »

 

 

Il faut effectivement plusieurs secondes pour reconnaître des comédiennes qu’on suit pourtant depuis longtemps. Emilie Dequenne se livre en version retro, surprenante, Marijke Pinoy l’actrice la plus engagée du cinéma belge se la joue presque glamour tandis que Pauline Etienne nous offre un instantané de sa maternité.

 

 

Loin de se cantonner aux visages les plus connus de notre cinéma, Valérie Nagant photographie aussi les réalisatrices ou des techniciennes, des femmes que, nous journalistes croisons sur les plateaux mais qui ne sont pas forcément familiers pour le grand public.
Femmes de cinéma est ainsi une plongée en apnée dans les coulisses de notre cinéma. Ce qui ne veut pas dire que la photographe baigne dans ce milieu depuis des années

 

 

« Loin de là, même », sourit-elle. « Avant j’habitais loin d’ici. C’est déjà difficile de voir les films belges quand on habite en Belgique mais à plusieurs milliers de kilomètres, c’est carrément impossible. Lorsque je suis revenue et que j’ai eu envie de photographier ces femmes qui me semblaient captivantes, je me suis mis à beaucoup les regarder, essentiellement à travers les films qu’elles avaient tournés. J’avais besoin de les cerner et de tenter de les comprendre. De voir ce que je pouvais mettre en évidence chez chacune d’elles. J’ai découvert des tas de films, je les ai toutes regardées. Je les ai aussi lues dans leurs interviews. Même si je ne prépare pas et que je ne conçois pas préalablement de mise en scène, j’aime bien les scruter. Si tout ce travail a eu une conséquence que je n’attendais pas vraiment c’est de me rendre accro au cinéma belge. »

 

 

Plutôt méprisé il y a quelques années par un public adepte du bashing, notre cinéma vit aujourd’hui une véritable révolution de fond. Qui passe forcément … par l’image. À côté de Cinevox et des Magritte, il n’est sans doute pas innocent que deux photographes se penchent simultanément ou presque sur celles et ceux qui proposent leur présence et leur talent à des entreprises qui sortent régulièrement des sentiers battus.

 

Quand on les regarde et qu’on scrute leur travail, on ne peut que conclure que Rudy Lamboray et Valérie Nagant, sont une variation sur le thème de la bête et la belle. Ces deux-là n’étaient pas forcément fait pour se rencontrer. Alors qu’en fait, ils ont bien plus de points communs qu’on pourrait l’imaginer de prime abord.

 

 

« Rudy réalisait en fait son projet en même temps que moi. Il avait commencé avant, mais ça lui a pris plus de temps. J’avais déjà largement entamé mes démarches quand j’ai découvert son travail. J’ai eu immédiatement envie de le rencontrer. Je me demandais s’il serait d’accord car en Belgique parfois les gens n’ont pas très envie de croiser d’autres personnes qui font le même métier.
Mais Rudy n’est absolument pas de ce genre-là. Il est complètement atypique. (Elle rit) Atypique, c’est d’ailleurs aussi le mot qu’on emploie tout le temps pour moi.
En fait, je l’ai finalement rencontré grâce à une amie commune.

On a deux manières de travailler très différentes pour des résultats qui n’ont rien à voir. Ses photos sont extrêmement masculines tandis que les miennes sont, je pense, très féminines. On a quand même le point commun d’être deux écorchés vifs créatifs.

Très vite je lui ai proposé l’idée, si l’occasion se présentait d’exposer à New York, de partir ensemble avec nos deux expositions et il a été enthousiasmé. Je ne sais pas quand ni même si ce projet va se réaliser, mais je suis persuadée que nos travaux sont totalement complémentaires. Ce sont deux visages d’un même cinéma. Deux regards sur un même univers. »

 

Le FIFF ouvre ses portes aujourd’hui et les Femmes de cinéma de Valérie Nagant vous y attendent à la Galerie du Beffroi (à deux pas de la place d’armes) jusqu’au 9 octobre.
Il s’agit tout simplement d’un des rendez-vous incontournables de la manifestation namuroise. Et, bien sûr, le livre est en vente dans les meilleures librairies.

 

 

 

 

 

 

 

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