Virginie Efira: « Il a fallu que j’accepte la mélancolie que j’avais en moi »

Rencontre avec la comédienne Virginie Efira qui nous parle de son rôle bouleversant dans Un amour impossible de Catherine Corsini, qui sort la semaine prochaine, et du nouveau tournant qu’est en train de prendre sa carrière. 

Est-ce que ce film représente une nouvelle étape dans votre carrière?

J’avais adoré le livre de Christine Angot quand je l’ai lu à sa sortie. Quand j’ai appris qu’il allait y avoir un film, j’ai écrit un SMS à mon agent, ce que je n’avais jamais fait, et  je me suis dit: « Là, je suis vraiment devenue une actrice! ». Ca disait: « Cher Laurent, je dois absolument jouer ce personnage, je le comprends intimement… ».

En en même temps, Catherine Corsini, que j’avais déjà croisée dans un festival, avait vu Victoria, et y avait vu un rapport d’actrice à cinéaste très proche, quelque chose dont elle avait très envie. Elle a pensé qu’on pourrait surement s’entendre humainement, alors elle m’a fait passer des essais.

Avec Victoria, j’ai touché un endroit dans le jeu, et dans ce que le film raconte, dans le rapport aussi avec le metteur en scène, quelque chose qui me plaisait, qui ne réduisait pas les personnages à des êtres unidimensionnels, un film qui pouvait être drôle, tout en ayant des contradictions. Ca m’a donné envie de retrouver dans les films une certaine intimité avec les gens avec lesquels je travaille.

Mais jusqu’ici, la seule fois où j’ai réussi à solliciter des metteurs en scène, c’est quand j’ai eu autre chose à vendre que moi, comme par exemple avec Continuer, le roman de Laurent Mauvinier, que j’avais follement envie de voir au cinéma, et d’incarner, et que j’ai finalement tourné avec Joachim Lafosse.

Il y a des résonances personnelles dans le rôle de Rachel?

Je crois qu’il y a toujours des résonances personnelles. Ca revient à comprendre une note en fait, celle du personnage. Quand j’ai lu le livre, il m’a bouleversée. C’est difficile de trouver une certaine liberté face au regard que la société porte sur nous. Parce que la manière dont vous êtes regardé finit par vous formater. Le complexe d’infériorité, c’est un truc qui s’insinue partout. Parce que tu viens de la télévision, parce que tu es une Belge à Paris… C’est assez chouette de pouvoir se défaire de ce complexe. Le livre et le film vont loin sur ce complexe d’infériorité qui aveugle complètement Rachel. Cette mère qui voit la souffrance de son enfant, et s’imagine que c’est forcément à cause d’elle, ce complexe fait qu’elle n’arrive plus à voir net les choses.

Il y a un dialogue très basique qui me touche dans le film: « Mais toi maman tu est quelqu’un de bien. » « Qu’est-ce que ça change? » « Ça change tout. » Ça me bouleverse. Parce que oui, elle a foiré des choses, sa vie peut sembler terrible, mais elle est debout, c’est quelqu’un qui essaie de bien faire. Ce n’est même pas qu’elle a fait des mauvais choix, c’est juste comme ça. On ne peut pas tout maîtriser dans la vie, comme pouvait-elle seulement penser une chose pareille, ce que son père va faire à sa fille?

Mais finalement, toute son infériorisation sociale démarre au coeur de l’intime. Ça démarre au sein même du couple, quand elle accepte les phrases qu’elle accepte. Sur sa pauvreté, son judaïsme. Elle ne se dit pas qu’elle a raison, mais elle n’ose pas le contredire. De toutes façons, elle n’a pas vraiment les arguments pour s’opposer.

De fait, elle doit expier toute sa vie un choix qu’elle a fait à 25 ans…

La question du choix, c’est une question philosophique vaste. Y’a-t-il seulement un vrai libre arbitre dans l’existence? Et plus encore quand il s’agit d’amour. Elle est tombée amoureuse du mauvais homme, d’un méchant, elle n’a pas eu le choix en fait. Peut-être que ça vient de sa psyché, son histoire, son propre abandon paternel… C’est quelqu’un qui n’exige rien, et a du mal à se voir aimée. Elle accepte ce qu’on lui donne, n’exige rien pour elle. Mais je ne la vois pas comme une victime. Elle peut endurer ce qu’on lui inflige. Evidemment, l’inceste est une bascule qui bouleverse tout.

J’ai entendu beaucoup d’interviews de Christine Angot à ce sujet. Quand on dit que c’est la tragédie de la mère, elle remet toujours les choses en place en disant que c’est la tragédie de la fille.

Pourtant, son amour la rend heureuse au début.

Oui, elle est heureuse, alors que chez lui il y a une sorte d’insatisfaction chronique, d’incapacité à l’empathie qui l’empêche d’être heureux. Il est complètement centré sur lui-même, et incapable d’aimer.

Il y a un mot que j’utilise peu, mais qui ici est très juste: c’est un pervers narcissique. Et l’explication que sa fille fait de sa monstruosité est finalement assez passionnante, qu’il l’a utilisée elle pour faire du mal à sa mère. C’est aussi une manière pour elle d’arriver à pardonner à sa mère. Ce qui est très intéressant dans le récit, c’est que le rejet de la mère ne passe même plus par les mots, la fille ne supporte même plus le bruit de la fourchette de sa mère. Elle ne peut plus voir sa mère, ça la ramène à des choses trop douloureuses, et sa mère l’accepte.

Finalement, elle n’a pas besoin de grand chose pour supporter la vie, cette mère. Le simple souvenir d’un resto en bord de mer lui suffit pour supporter l’absence de l’homme qu’elle aime. C’est assez beau aussi. C’est quelque chose qui m’a toujours touchée.

Est-ce que vous savez où vous voulez aller, aujourd’hui?

Je ne sais pas bien où je veux aller, mais si je choisis des choses fondamentalement en rapport avec moi, ce sera forcément bon. Même si là, je suis confrontée à des choix où je ne sais pas quoi faire! Moi mon objectif, ce n’était pas de réussir à la télé, ni même forcément au cinéma, c’était de trouver des choses qui m’animent, des gens avec lesquels j’avais envie de parler.

Ce qui est sûr, c’est que je ne voulais pas rester à une place pré-déterminée. J’aime bien faire des comédies, mais ce que je savais avant tout, c’est que je voulais faire des films qui avaient des choses à raconter, pas des coquilles vides. Il peut y avoir des films populaires qui disent de belles choses, et d’autres qui racontent que c’est mieux d’avoir une grosse bagnole pour réussir sa vie, et ça ça m’intéresse moins. Les schémas, les clichés, je me sens mal là-dedans, je cherche à éviter. J’ai beaucoup rencontré ça quand j’ai commencé à faire du cinéma, et à faire de la promotion. J’avais l’impression que comme je n’étais pas super belle, les gens attendaient forcément de moi que je sois marrante, alors je jouais les comiques. Il a fallu aussi que j’accepte la mélancolie que j’avais en moi. Et finalement,  chercher un endroit où je me sens en éveil.

C’est justement ce que vous avez ressenti en lisant Continuer?

En fait après Victoria, quand les gens me demandaient ce que j’allais faire, je disais, « Oh, j’attends qu’on me propose un truc », mais je me sentais mal à l’aise de dire ça. Je me disais, « Mais quoi, être acteur, c’est seulement attendre en fait? » Je peux être fascinée par des muses façonnées par un metteur en scène, mais je ne suis clairement pas dans cette typologie. Donc il faut être moteur, et comme je n’écris pas, passer par des adaptations littéraires, c’est vraiment une voie intéressante. Déjà, ça permet de lire en étant acteur de sa lecture. J’ai envie d’aller plus loin sur cette voie.

Après, il se trouve qu’on m’a proposé pas mal de choses coup sur coup. C’est marrant, y’a des filles à qui on ne propose plein de trucs à 30 ans, et après y’a plus rien, et moi on m’appelle à 40 ans! Bon, peut-être qu’à 45 ans on ne me proposera plus rien hein… Là effectivement on m’offre beaucoup de rôles très complexes, très ambigus. J’avais l’impression qu’avant, on ne s’adressait qu’à mon côté comique, et là, plus du tout. Ce n’est pas que j’ai spécialement envie de jouer des choses tristes, c’est juste que j’apprécie de jouer des choses avec plus de contradictions.

Vous vous sentez plus libre aujourd’hui dans vos choix?

Disons qu’il y a les choses que l’on accepte, mais aussi la façon dont on joue certains rôles, mais je crois que oui, quand même je suis plus libre aujourd’hui… J’ai revu un film que j’avais fait il y a longtemps à la télévision, et c’est horrible, on sent que j’étais pétrifiée. C’est un truc que je n’aime pas chez les acteurs, quand on sent qu’ils se regardent jouer, peut-être parce qu’ils ne sont pas sûrs de ce qu’ils projettent. C’est un truc que je ne fais plus, j’en suis ravie. Là je suis dans le moment, je ne pense pas à la façon dont les choses vont être reçues. Et ça, c’est une liberté.

Mais la confiance ne peut venir que des autres. C’est le regard de l’autre, une fois de plus, qui nous libère. Si les autres te disent que tu peux le faire, alors c’est bon, tu peux le faire. C’est vrai que je reçois plus de scénarios aujourd’hui, plus intéressants. Mais c’est rare d’avoir ça sur le long terme. Mais c’est vrai que c’est une période exaltante. Encore faut-il en faire quelque chose de chouette…

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