Toni Musulin, vous connaissez? Mais si, rappelez-vous. Musulin est ce convoyeur de fonds qui le 5 novembre 2009, après dix ans de bons et loyaux services, décide de quitter le droit chemin. Pendant que ses collègues sont en train de récolter de l’argent dans une entreprise, il file avec son fourgon, emmenant 11.6… millions d’euros avec lui. Il s’évapore dans l’éther et la légende naît. Quel est cet homme qui a commis le braquage du siècle? Un héros, un vulgaire escroc, un Robin des Bois des temps modernes?
Le mystère est épais, les avis, tranchés. La chasse à l’homme est lancée. Et puis, soudain, la police met la main sur le butin. Enfin… Presque tout le butin. Environ 9 millions. Il en manque donc 2,5. Dans la foulée, nouvelle surprise: Musulin se livre à la police et explique que non, il n’a pas emporté le moindre euro. Que tout était dans sa cache. Que si des sous ont disparu, ce n’est pas de sa faute.
Condamné à passer quelques années en prison, on le soupçonne bien sûr de prendre son mal en patience pour profiter à sa libération d’un pactole qui l’attend quelque part. Mais où? Et comment le prouver?
Cette extraordinaire aventure devait titiller les imaginations artistiques. C’est d’abord Alice Géraud-Arfi qui publie en 2011 Toni 11.6 – Histoire du convoyeur, un livre dans lequel la journaliste donne sa version de l’affaire, elle qui a pu approcher Toni Musilin. Un privilège rare parce que l’homme est détenu en isolement pour lui éviter de subir des pressions d’autres prisonniers. Car, bien sûr, il n’y a pas que la police et les assurances qui s’inquiètent de savoir ce que sont devenus les 2.5 millions manquants.
Naturellement, le cinéma ne pouvait que s’emparer d’une telle histoire. Mais un film prend un peu plus de temps à se monter, se tourner. D’autant qu’avec les éléments en possession des témoins, il n’est pas aisé de choisir un angle d’attaque. Celui pour lequel a opté Philippe Godeau rappelle les démarches des deux longs métrages conçus autour de l’affaire Roman (l’adversaire et l’emploi du temps). Soit une tentative de recréation qui privilégie l’analyse sociale et psychologique sans essayer d’en rajouter dans le suspense et le spectaculaire.
Le pari était risqué, car comme la plupart des spectateurs connaissent les grandes lignes de ce fait divers récent, ils pourraient s’y ennuyer. Est-ce le cas? Non, heureusement. Fut-ce déjà parce que le réalisateur a persuadé son interprète d’Un Dernier pour la route de renouer avec lui. Et chacun sait que pour jouer un rôle comme celui-ci, tout en intériorité, François Cluzet est presque le choix idéal.
Le film est coproduit en Belgique par Versus, mais si nous en parlons ici, c’est surtout parce qu’on retrouve à l’affiche un déconcertant Bouli Lanners, qui hérite d’un second rôle d’une surprenante intensité. Sans discussion, il est le véritable n°2 du film. Arnaud, le partenaire habituel de Musilin, est un gars sympa, mais un peu simple d’esprit, solitaire et peu porté sur l’hygiène corporelle. Avec ses sandales et ses chaussettes, il se fait régulièrement charrier par ses collègues. Et la souris qu’il garde dans sa poche achève de charger la singularité du personnage. Comme Cluzet, comme Corinne Masiero aussi qu’il a déjà côtoyée dans De Rouille et d’Os, Bouli est tout simplement formidable. À la fois attendrissant et vraiment agaçant.
Côté réalisation, Philippe Godeau lorgne du côté du documentaire. Pas de grands mouvements de grue, ni d’effets stupéfiants, mais une cohérence et une retenue qui nous plongent dans le quotidien de ces hommes. En se débarrassant des clichés d’un film de braquage; ce n’est pas l’objet de la démarche.
Cela dit, le réalisateur nous réserve une grosse surprise qu’on ne voit pas vraiment venir et qui nous colle en bout de course un bon gros sourire sardonique sur le visage : bien joué !